ARTICLES


Image

L’Europe aura-t-elle raison des barèmes Macron ?

Image
Image
Image
5 mars 2021
Image
Valérie Le Roux, avocat à la cour
Image
Les barèmes dits “Macron” issus de l’ordonnance du 22 septembre 2017, c’est-à-dire le plafonnement des indemnités du salarié en cas de licenciement jugé abusif, mesure phare du début du quinquennat du Président de la République, sont applicables depuis maintenant plus de trois ans. L’occasion de faire le bilan sur leur application très chahutée par les juridictions.

Après les ruptures conventionnelles en vigueur depuis 2008 (avec le record de 444.000 ruptures en 2019 année de forte amélioration de la situation du marché du travail), les barèmes Macron de 2017 ont participé à la déjudiciarisation des rapports dans l’entreprise. Avec le barème, chacun connaissant les limites de l’exercice, employeurs et salariés préfèrent s’entendre plutôt que de partir aux prud’hommes.

A l’analyse toutefois, il apparaît que les barèmes n’ont pas tant bouleversé les habitudes du juge prud’homal (I). En revanche, l’esprit de la Révolution est bel et bien au rendez-vous dans le refus de nombreuses juridictions de l’appliquer (II). L’Europe en aura-t-elle raison (III) ?

I. Les barèmes Macron, une révolution ?

Les barèmes Macron instituent un plancher et un plafond d’indemnisation des licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse (articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail) qui dépendent de l’ancienneté du salarié acquise au sein de l’entreprise, au jour de la rupture du contrat de travail.

Par exemple, pour une ancienneté de 7 ans au jour de son licenciement, jugé sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité plafond est de 8 mois de salaire et le plancher de 3 mois de salaire. Pour s’approcher du plafond, le salarié doit démontrer l’ampleur de son préjudice. Généralement, il évoquera son âge, les circonstances de son licencie- ment ou encore ses charges.

Le barème n’est cependant pas applicable aux hypothèses de ruptures résultant d’un harcèlement moral ou d’une discrimination, requalifiées en licenciement nul, le salarié étant libre de chiffrer sa demande au vu du préjudice.

Pour autant, le barème Macron n’a pas réellement changé les habitudes du juge prud’homal puisqu’il a été constaté que les indemnités accordées étaient relativement proches de ce qui était déjà pratiqué avant leur entrée en vigueur.

Pour mémoire, une ancienneté d’au moins deux ans, au sein d’un entreprise d’au moins 11 salariés, permettait à un salarié d’obtenir une indemnité plancher de six mois en cas d’invalidation du licenciement, sauf à démontrer une ampleur particulière du préjudice.

II. La validité des barèmes Macron toujours suspendue à une décision de la Cour de cassation

L’entrée en résistance de Conseils de prud’hommes

Le Conseil de prud’hommes de Troyes est le premier à avoir écarté le barème Macron (CPH, Troyes, 13 décembre 2018), suivi de ceux de Lyon, Amiens ou encore Grenoble etc.

Ces juridictions ont jugé les barèmes contraires au droit au versement d’une “indemnité adéquate“ consacré par la Convention n°158 de l’OIT et la Charte sociale européenne du 3 mai 1996. Ils ne permettraient pas non plus d’être dissuasifs pour l’employeur et sécuriseraient davantage les fautifs que les victimes.

Malgré deux avis clairs de la Cour de cassation

Très rapidement, la Cour de cassation s’est positionnée en rendant un avis très clair de validation en considérant que l’article L 1235-3 du code du travail était compatible avec les stipulations de la Convention n°158 de l’OIT et que la Charte sociale européenne n’avait pas d’effet direct (Avis n° 15012 et 15013 du 17/07/2019 – Formation plénière pour avis).

Ces avis sont conformes à la position du Conseil constitutionnel (DC, 21/03/2018, n°2018-761) et du Conseil d’État (CE, 7/12/2017, n° 415243).

Pour mémoire, le principe d’effet direct permet aux particuliers d’invoquer directement une norme européenne devant une juridiction nationale ou européenne.

S’agissant d’un avis, sa valeur n’est pas perçue comme contraignante par certains Conseils de prud’hommes qui continuent d’écarter l’application des barèmes. (CPH, Bobigny, 16 décembre 2020, nº 19/00680).

Pour la doctrine, la Cour de cassation a rejeté l’effet direct de la Charte sociale européenne, dans le seul but de ne pas avoir à se confronter frontalement à la question de la portée des décisions du Comité européen des Droits Sociaux, qui veille au respect de la Charte sociale européenne. Ce Comité doit se prononcer bientôt sur les Barèmes Macron.

Les Cours d’appel sont divisées et en manque de clarté

La position des Cours d’appel n’a pas permis de clore ce débat puisque celles-ci sont divisées sur le contrôle des barèmes Macron.

Certaines Cours les valident purement et simplement (CA Paris, 6, 8, 30/10/2019, n°16/05.602), d’autres opèrent un contrôle « in concreto » de la situation du salarié pour valider (CA Chambery, 14 novembre 2019, n° 18/02184, CA Caen, 12 décembre 2019, n°18/02368) ou écarter (CA Bourges, 6 novembre 2020, n° 19/00585) l’application des barèmes.

L’âge du salarié, la difficulté qui en résulte de retrouver un emploi, le montant du salaire ou encore la situation familiale sont les critères habituels.

De manière générale, les Cours qui opèrent ce contrôle considèrent que le barème ne les dispense pas d’apprécier si le dispositif ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié. Quant à la Charte sociale européenne, la majorité des Cours nie son effet direct.

III – Quand l’Europe s’en mêle

Cette bataille juridique a pris un nouveau tournant puisque le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a condamné le barème d’indemnisation instauré en Ita- lie (CEDS, 11 septembre 2019, 158/2017, Confederazione Générale Italiana del Lavoro c/ Italie).

Ce Comité a été saisi par plusieurs organisations syndicales françaises et le risque de condamnation de la France semble très élevé puisque le barème italien est jugé plus favorable aux salariés que le barème français.

Si les décisions du CEDS n’ont pas de valeur contraignante à l’égard des États membres du Conseil de l’Europe, on peut se demander si la Cour de cassation résistera à la pression exercée par cette instance et la position de certaines Cours d’appel qui considèrent que la Charte sociale européenne a un effet direct.

La suite au prochain épisode.