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COVID-19 : les aménagements en matière de procédures collectives

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17 avril 2020
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Christine Sarazin, avocat associé et Cap Sou Kim, avocat à la cour
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La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national est entré en vigueur le 24 mars 2020 pour une période de deux mois, soit jusqu’au 24 mai 2020, à minuit.

Diverses mesures ont été prises par le Gouvernement afin d’adapter les dispositions relatives aux entreprises en difficulté aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Ainsi, trois ordonnances et une circulaire aménagent temporairement les règles existantes relatives aux procédures collectives :

  • l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ;
  • l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;
  • l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale ;
  • la circulaire n° CIV/03/20 de présentation des articles 1er, 2, 3 et 5 du 30 mars 2020 de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 précitée.

Leur durée d’application, variable, ainsi que les nouveaux délais qu’elles mettent en place étant déterminés par référence à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, il convient de garder à l’esprit que cette date fixée actuellement au 24 mai 2020 est susceptible d’être prorogée.

Les principaux aménagements des dispositions relatives aux difficultés des entreprises consistent essentiellement en l’adaptation de certains délais de procédures collectives afin de maintenir l’accès aux procédures préventives pour les entreprises fragilisées par la crise sanitaire et garantir la pérennité des procédures en cours.

« Cristallisation » de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020

L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale, fixe au 12 mars 2020 la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements, c’est-à-dire l’impossibilité pour une entreprise de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Cette disposition, de portée générale, est applicable à toutes les procédures de prévention ou de traitement des difficultés des entreprises, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020 à minuit, sur le fondement actuel.

L’objectif est de permettre aux entreprises de bénéficier des procédures de conciliation et de sauvegarde même si, entre le 12 mars et le 24 août 2020, elles ont subi une aggravation de leur situation de telle sorte qu’elles se trouvent en cessation des paiements pendant cette période, y compris depuis plus de 45 jours.

L’ordonnance permet toutefois au débiteur d’invoquer son état de cessation des paiements même intervenu postérieurement au 12 mars 2020 pour solliciter l’ouverture d’un redressement ou une liquidation judiciaire.

Autre conséquence de la fixation au 12 mars 2020 de la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements : les chefs d’entreprise pourront déclarer l’état de cessation des paiements de leur entreprise jusqu’à trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire si cet état est constaté entre le 12 mars et le 24 août 2020, en l’état actuel, ce qui évite qu’ils ne s’exposent aux sanctions personnelles pour ne pas avoir déclaré cet état dans le délai légal de 45 jours.

Toutefois, l’ordonnance réserve expressément la possibilité pour le tribunal de reporter la date de cessation des paiements à une date antérieure ou, en cas de fraude aux droits des créanciers, postérieure au 12 mars 2020, auquel cas les dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif aux nullités de la période suspecte, restent applicables.

Aménagement des règles de la conciliation

La procédure de conciliation est adaptée pour la rendre compatible avec les contraintes de l’état d’urgence sanitaire.

Ainsi, outre le fait qu’elle peut être ouverte même si le débiteur a subi une aggravation de sa situation après le 12 mars 2020, l’article 1er, II, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 prévoit une prolongation de plein droit « d’une durée équivalente à celle de la période prévue au I » (état d’urgence sanitaire + trois mois, soit jusqu’au 24 août 2020 en l’état actuel) pour toute procédure de conciliation en cours ou ouverte pendant ladite période.

En outre, l’ordonnance permet, s’il apparaît souhaitable de reprendre les négociations, l’ouverture d’une nouvelle procédure de conciliation sans attendre l’expiration du délai de carence de trois mois prescrit par l’article L. 611-6 du Code de commerce. La durée de cette nouvelle procédure sera déterminée par la prolongation dérogatoire précitée.

Allongement de certains délais relatifs aux procédures en cours

  • L’article 2, I, 1° de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 rend inapplicable, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 juin 2020 en l’état actuel, l’article L 631-15, I du Code de commerce, qui impose au tribunal, en cas de redressement judiciaire, le rappel des dossiers dans le cadre d’audiences intermédiaires afin de statuer sur l’opportunité de poursuivre ou non la période d’observation.
  • Les durées relatives à la période d’observation, au plan, au maintien de l’activité, et à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée sont prolongées jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 2, II- 1° de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020).
  • L’article 1er, IV, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 dispose que jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (24 août 2020, en l’état actuel), le président du tribunal, statuant sur requête de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan, peut prolonger, selon une appréciation au cas par cas, les délais qui sont imposés à ces derniers pour exécuter leur mission « d’une durée équivalente à celle de la période prévue au I» (état d’urgence sanitaire + trois mois).

Possibilité de prolongation de la durée des plans de sauvegarde et de redressement en cours

 Jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 août 2020 en l’état actuel, le président du tribunal, statuant sur requête du commissaire à l’exécution du plan, peut prolonger ces plans d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois ou, sur requête du ministère public, pour une durée maximale d’un an (article 1, III, 1° de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020).

Après l’expiration du délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, et pendant un délai de six mois, le tribunal pourra prolonger la durée du plan pour une durée maximale d’un an sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan (article 1, III, 2° du même article).

La circulaire de présentation des articles 1er, 2, 3 et 5 de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 précise que ces dispositions ne sont pas soumises aux règles de procédure de modification substantielle du plan initialement arrêté par le tribunal, prévues par l’article L. 626-26 du code de commerce, qui sont par ailleurs envisageables. En outre, ladite circulaire ajoute que ces prolongations de plan justifieront, le cas échéant, un rééchelonnement des échéances prévues par le plan exigibles après la date de la décision ou après le 12 mars.

Prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire relatifs à la déclaration de créance et à la revendication de marchandises

L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence et à l’adaptation des procédures pendant cette même période., s’applique, sauf disposition spéciale contraire, à l’ensemble des délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 (période désignée ci-après sous les termes « période juridiquement protégée »).

Cet article prévoit que les actes prescrits par la loi ou le règlement et qui devaient être accomplis durant cette période pourront être réalisés dans un délai de deux mois après l’expiration de ladite période.

En ce qui concerne les procédures collectives, plusieurs délais impartis aux créanciers sont concernés par cette disposition.

  • Le délai de déclaration de créance

Ce délai est en principe de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

Si le délai de déclaration d’une créance expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier peut valablement déclarer sa créance dans les deux mois suivant la fin de cette période, c’est-à-dire dans les trois mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire, sans avoir à présenter une demande de relevé de forclusion.

En revanche, si le délai commence à courir après la période juridiquement protégée, et même si la publication faisant courir le délai concerne un jugement rendu pendant ladite période, le créancier ne bénéficiera d’aucune prorogation des délais.

  • Le délai de revendication de marchandises

En principe, la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

Si le délai de revendication expire pendant la période juridiquement protégée, la revendication doit être exercée dans les deux mois suivant la fin de cette période, c’est-à-dire dans les trois mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

  • Le délai de saisine du juge-commissaire

A défaut d’acquiescement dans le délai d’un mois à compter de la réception de la revendication des meubles, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d’un mois à compter de l’expiration du délai de réponse.

Si le délai de saisine du juge-commissaire expire pendant la période juridiquement protégée, celui-ci commencera à courir à compter de la fin de cette période, c’est-à-dire à l’expiration du délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire.