LE SILENCE DE L’ADMINISTRATION VAUT ACCEPTATION … SOUS RÉSERVE DE MILLIERS D’EXCEPTIONS

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LE SILENCE DE L’ADMINISTRATION VAUT ACCEPTATION … SOUS RÉSERVE DE MILLIERS D’EXCEPTIONS

Marine Péchenard, avocat à la cour



Au départ, une belle idée : si l’administration ne répond pas à une demande d’un administré, son silence vaut un accord.
A l’arrivée, un empilement de quatre familles d’exceptions et un administré qui doit vérifier si sa demande entre dans le cadre de telle ou telle exception…

La loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens a posé le principe selon lequel le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision implicite d’acceptation de la demande.

LE PRINCIPE : LE SILENCE DE L’ADMINISTRATION, GARDÉ PENDANT DEUX MOIS,
VAUT ACCEPTATION (OU « SVA »)

Le principe du SVA qui se substitue à l’ancien selon lequel le silence de l’administration gardé pendant deux mois valait rejet de la demande, est dorénavant codifié à l’article L231-1 du Code des relations entre le public et l’administration.
Cette nouvelle règle est appli- cable depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le
12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territo- riales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif.
Le nouveau dispositif vise à assurer un examen effectif des administrations sur les demandes dont elles sont saisies et à leur imposer une véritable obligation de célérité. Ce système a l’avantage d’obliger les services à apporter des réponses systématiques aux demandes, à défaut de quoi, l’accord est acquis. Mesure phare du
« choc de simplification » voulu par les pouvoirs publics, la règle du SVA vient créer un véritable « droit à la décision » au profit des administrés.
La lenteur souvent critiquée de l’administration est ainsi contrecarrée, ce qui permet d’assurer que les éventuels retards de l’administration ne préjudicient plus aux demandeurs.

LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE RENDENT LA RÉFORME ILLISIBLE

Cependant, les choses ne sont pas aussi simples puisque de nombreuses exceptions viennent dénaturer la règle nouvellement posée.
Tout d’abord, l’article L231-4 du Code des relations entre le public et l’administration prévoit cinq exceptions, notamment en cas de demande ne tendant pas à une décision individuelle, ayant un caractère financier ou pour certains motifs d’ordre public.
Par ailleurs une soixantaine de décrets, dont le dernier date du 19 mai 2016, ont multiplié les dérogations au principe contribuant ainsi à l’illisibilité de la réforme et à la mise à mal de la sécurité juridique.

Aujourd’hui, les administrés peuvent être confrontés à quatre situations différentes, à savoir :
•Le silence de l’administration vaut accord au bout de deux mois,
•Le silence de l’administration vaut accord dans un délai différent,
•Le silence de l’administration vaut refus au bout de deux mois,
•Le silence de l’administration vaut refus dans un délai différent.
Ces différences de délai d’instruction peuvent se justifier par l’urgence, la complexité ou la nature même de la demande. Cette disparité est, cependant, dans certains cas totalement incompréhensible…
A titre d’exemple, le silence de l’administration vaudra acceptation de la demande dans un délai différent à deux mois pour l’inscription sur la liste des administrateurs judiciaires (12 mois), l’autorisation de travaux sur un immeuble de grande hauteur (4 mois), la modification de la propriété d’un dessin ou modèle (6 mois), l’homologation de la rupture conventionnelle (15 jours) ou la déclaration de renonciation d’une marque (18 mois).
Dans d’autres cas, le silence de l’administration conservé pendant deux mois vaudra rejet de la demande pour : l’accès aux informations nominatives concernant les personnes immatriculées au RCS, la concession de plage, l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi, l’autorisation d’occupation ou d’utilisation temporaire du domaine public maritime ou fluvial, l’extension de la dérogation temporaire au repos dominical ou encore l’autorisation pour la pêche à l’anguille !
Enfin, le silence de l’administration gardé pendant un délai différent à deux mois, peut valoir refus de la demande notamment pour : la réinscription sur la liste des administrateurs judiciaires après retrait (8 mois), les demandes en relevés de déchéance des droits attachés à un brevet, les demandes d’enregistrement et les déclarations de renouvellement d’une marque ainsi que pour l’enregistrement d’un modèle ou dessin (6 mois), les décisions de construire ou démolir un site classé (1 an) ou l’autorisation de mise sur le marché d’OGM (345 jours !)

COMPLEXE POUR LES USAGERS ET POUR … L’ADMINISTRATION

Pour conclure, cette réforme bien que louable sur le principe est en réalité d’une grande complexité pour l’administration et pour les usagers.
Au-delà des difficultés pratiques tenant à la visibilité de la règle générale, des contentieux nombreux sont à craindre en raison du risque de multiplication des décisions illégales prises involontairement par l’administration.
Ainsi, avant toute demande à l’administration, l’entreprise devra identifier dans quel cas de figure elle se trouve et chercher sa réponse parmi les milliers de situations possibles. L’entreprise pourra alors se référer aux sites « Legifrance » (1) et « Service-public »(2) qui ont mis en ligne des tableaux récapitulatifs et un moteur de recherche pour tenter de résumer les cas dans lesquels la règle du « SVA » s’applique et les situations dans lesquelles l’ancien principe perdure.
Les différents délais d’instruction y sont également indiqués.

(1) https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Silence-vaut-accord-SVA
https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Silence-vaut-accord-SVA/Silence-vaut-rejet-SVR
(2) https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A10675

Date de mise à jour  : 25/01/2017