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Le droit des contrats à l’épreuve du Coronavirus (mis à jour de l’ordonnance du 15 avril 2020)

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27 avril 2020
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Maître Jan-Baudouin LALLEMAND vous livre les applications contractuelles de l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

L’état d’urgence sanitaire instauré par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 est en vigueur sur l’ensemble du territoire national pour une période de deux mois, du 24 mars 2020 au 24 mai 2020.

Diverses ordonnances ont été prises afin de permettre de suspendre un certain nombre de délais pendant l’état d’urgence sanitaire.

En matière contractuelle, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit la suspension d’un certain nombre de délais.

Le droit commun a cependant vocation à s’appliquer dans tous les autres cas.

1.L’impossibilité d’exécuter des obligations contractuelles : des exceptions limitées

Sont concernées par l’ordonnance uniquement les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires et les clauses prévoyant une déchéance qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation contractuelle dans un délai déterminé.

Deux cas de figure se présentent alors.

Cas 1 : le délai a expiré avant le 12 mars 2020.

Le cours des astreintes et l’applications des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

Elles reprendront effet à compter de l’expiration de cette période.

L’ordonnance ne mentionne pas le cas des clauses résolutoires et des clauses prévoyant une déchéance qui auraient pris effet avant le 12 mars 2020. En l’absence de précisions dans la loi et dans l’ordonnance on peut légitimement en déduire qu’elles sont acquises mais que leur exécution est suspendue.

Cas 2 : le délai expire entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

Ces astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance sont réputées ne pas avoir pris cours ou ne pas avoir produit d’effet si ce délai expire entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

Si l’obligation contractuelle en question n’a pas été exécutée dans un délai d’un mois après le 24 juin 2020, soit le 24 juillet 2020, alors ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à l’expiration de ce délai.

2. L’impossibilité d’exécuter des obligations contractuelles : les autres cas

En dehors des cas spécifiquement prévus par l’ordonnance et détaillés ci-dessus, et hormis certains textes spécifiques, il n’est prévu aucune autre exception relative à l’inexécution d’obligations contractuelles durant l’état d’urgence sanitaire.

La circulaire du 26 mars 2020 rectifiée le 30 mars 2020 vient apporter un certain nombre de précisions.

Les délais prévus contractuellement ne sont pas prorogés et le paiement des obligations contractuelles n’est pas suspendu.

Par ailleurs, les échéances contractuelles doivent toujours être respectées ; seul le jeu de certaines clauses est paralysé (voir les développements ci-dessus).

En l’absence de dispositions spécifiques, c’est donc les dispositions de droit commun qui s’appliqueront et que le juge interprétera à la lumière des faits et circonstances propres à chaque situation.

Au contraire, les délais prévus par la loi feront l’objet d’une prorogation, comme c’est le cas, pour ne citer que ces dispositions, de l’article 2224 du code civil prévoyant le délai de prescription quinquennale ou encore l’article L. 142-4 du code de commerce prévoyant l’inscription d’un nantissement de fonds de commerce dans un délai de 30 jours suivant l’acte constitutif à peine de nullité.

3. L’impossibilité d’exécuter des obligations contractuelles : la possibilité d’invoquer la force majeure

La pandémie de Coronavirus et tous les bouleversements qui en découlent peuvent justifier dans certains cas d’invoquer la force majeure.

L’inexécution pour cause de force majeure est définie à l’article 1218 du code civil.

Un événement, pour être considéré comme une force majeure, doit remplir les conditions suivantes :

  • il échappe au contrôle de débiteur ;
  • il ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusions du contrat ;
  • ses effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;
  • il empêche le débiteur d’exécuter son obligation.

Par conséquent, la pandémie de Coronavirus ne sera pas considérée comme un événement de force majeure dans tous les cas.

En effet, s’il paraît évident que la pandémie échappe au contrôle du débiteur, les critères de prévision au moment de la signature du contrat, d’impossibilité d’exécuter une obligation ou de prise de mesures appropriées pour éviter la force majeure dépendent de chaque situation.

Si la pandémie de Coronavirus est considérée comme une force majeure, alors il sera procédé comme prévu à l’article 1218 du code civil à savoir :

  • si l’empêchement est temporaire : l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ;
  • si l’empêchement est définitif : le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 du code civil.

L’inexécution pour cause de force majeure doit donc faire l’objet d’une appréciation au cas par cas.

4. L’impossibilité d’exécuter des obligations contractuelles : la possibilité de demander la renégociation du contrat pour imprévision

L’article 1195 du code civil, introduit à l’occasion de la réforme du droit des obligations de 2016, prévoit un mécanisme de renégociation et de révision judiciaire des contrats pour imprévision qui peut se révéler utile en période de pandémie liée au Coronavirus.

En cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, cette dernière peut demander une renégociation du contrat à l’autre partie.

Pendant la renégociation, les parties doivent tout de même continuer a exécuter leurs obligations respectives.

En cas d’échec de la négociation deux possibilités s’offrent à elles :

  • elle peuvent convenir de la résolutions du contrat à la date et aux conditions qu’elles déterminent ; ou
  • demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation.

A défaut d’accord dans un délai raisonnable le juge peut, à la demande d’une des parties, réviser le contrat ou y mettre fin aux conditions qu’il fixe.

Tout comme dans le cas où la force majeure est invoquée, la pandémie de Coronavirus et les bouleversements qui en découlent ne seront pas considérés automatiquement comme un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

Une analyse au cas par cas s’avère donc nécessaire.

Se posera tout d’abord la question de la définition et de l’appréciation d’une obligation devenue excessivement onéreuse et du caractère imprévisible du changement de circonstances lors de la conclusion du contrat.

L’analyse devra en outre prendre en compte notamment la situation des parties, l’équilibre contractuelles et les obligations prévues par le contrat.

5. La résiliation des contrats et leur tacite reconduction

Sont concernés enfin par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 les contrats qui ne peuvent être résiliés que pendant un délai déterminé ou qui se renouvellent par tacite reconduction en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé.

Si ce délai expire entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, alors le délai pour résilier le contrat ou pour le dénoncer et ainsi éviter une tacite reconduction, est prorogé jusqu’au 24 août 2020.

MISE A JOUR SUITE A L’ORDONNANCE DU 15 AVRIL 2020 :

L’article 4 de l’ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020 modifie l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 concernant les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance.

  • S’agissant des clauses et des astreintes qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue pendant la période juridiquement protégée :

L’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait un report d’un mois à compter de la fin de la période juridiquement protégé (fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois).

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 prévoit désormais que le report sera égal au temps écoulé entre le 12 mars (ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive) et la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée

Exemple donné dans la circulaire de présentation de l’ordonnance 2020-427 : Un contrat conclu le 1er février 2020 devait être exécuté le 20 mars 2020, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> En vertu du dispositif mis en place par l’ordonnance, les effets de la clause seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 et le 20 mars, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi si la période juridiquement protégée prenait fin le 24 juin, la clause résolutoire prendrait effet le 3 juillet (fin de la période juridiquement protégée + 8 jours).

  • S’agissant des clauses et des astreintes qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue après la période juridiquement protégée :

Le cours et les effets de ces astreintes et clauses sont dorénavant reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars (ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive), et la fin de la période juridiquement protégée.

Le report court ici à compter de la date à laquelle les astreintes et clauses auraient dû prendre cours ou produire effet en vertu des stipulations contractuelles

Exemple donné dans la circulaire de présentation de l’ordonnance 2020-427 : Un contrat conclu le 1er avril 2020 devait être achevé avant le 1er juillet 2020, une clause pénale prévoyant le versement d’une indemnité forfaitaire en cas d’inexécution. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> En vertu du dispositif mis en place par la présente ordonnance, les effets de la clause pénale seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril et la fin de la période juridiquement protégée, ce report courant à compter du 1er juillet 2020. Ainsi, si la période juridiquement protégée devait prendre fin le 24 juin, le report serait de 2 mois et 23 jours à compter du 1er juillet 2020 et la clause pénale prendrait donc effet le 24 septembre.

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Note 1 : La présente brève concerne le droit positif tel qu’issu de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances prises en application de ce texte. Les délais sont susceptibles d’être modifiés en cas de prorogation de la durée de l’état d’urgence sanitaire.

Note 2 : Bien que cela ne soit pas précisé dans l’ordonnance, il semble que ce sont les astreintes conventionnelles qui soient visées par l’article 4 de l’ordonnance et non les astreintes judiciaires.

Textes mentionnés:

  • Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
  • Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;
  • Circulaire du 26 mars 2020 rectifiée le 30 mars 2020.