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Les entreprises prennent souvent grand soin à indiquer les délais de préavis à la dénonciation d’un contrat commercial. Se conformer aux textes de loi et aux stipulations du contrat est insuffisant Cet article présente la jurisprudence récente
Selon l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques :
«Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…)de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (…) ».
Il s’agit de dispositions d’ordre public, il ne peut y être dérogé au moyen d’une clause contractuelle.Ce texte créé par la Loi n°96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, était à l’origine destiné à encadrer la fin des relations commerciales dans le domaine de la grande distribution où, bien souvent, il n’existe pas de contrat cadre mais une succession de commandes passées par les centrales d’achat ou de référencement et qui, du jour au lendemain, pouvaient tout simplement cesser et préjudicier aux producteurs.
L’introduction de multiples critères
Cependant, loin de cantonner l’application de l’article L. 442- 6 I 5° du Code de commerce aux relations commerciales qui ne se caractérisent que par une succession de commandes, la jurisprudence applique ce texte à toute relation commerciale « établie » quand bien même les parties ont conclu un contrat cadre prévoyant une faculté de résiliation moyennant respect d’un préavis.
Ainsi, le texte vise toutes les relations établies précontractuelles, contractuelles et même post-contractuelle. La notion de relation commerciale est plus large que celle de contrat.
Par exemple, si l’expiration d’un contrat de franchise l’ex-franchisé passe des commandes à son ancien franchiseur, la Cour de cassation estime qu’il convient prendre en compte l’intégralité de la relation commerciale (c’est-à-dire la durée du contrat de franchise et des relations post-contractuelles) pour apprécier la durée du préavis (Cass. com., 24 nov. 2009, n° 07-19.248).
Ainsi, l’appréciation du caractère établi d’une relation commerciale doit s’effectuer au regard notamment de la durée totale de cette relation, peu important le cadre juridique dans lequel elle a pu s’inscrire.Par ailleurs, il importe peu que le contrat ait été ou non formalisé par écrit, qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée ou encore qu’il soit renouvelable. Enfin, il n’est pas nécessaire que la relation ait été établie durablement entre les mêmes personnes, un repreneur peut se prévaloir des relations initialement nouées s’il s’inscrit dans la continuité des relations d’affaires.
Ainsi une succession de contrats prorogés ou renouvelés peuvent inscrire des relations commerciales dans la durée dès lors qu’il est démontré la régularité et la stabilité de ces relations.
Récemment, il a été jugé par la Cour d’Appel de Paris qu’une succession de contrats ponctuels pouvait être suffisante pour caractériser l’existence d’une relation commerciale établie si l’une des parties pouvait légitimement considérer que cette suite de contrats avait vocation à perdurer dans le temps (CA Paris 11 septembre 2014).
Bien plus, la durée de ce préavis n’est pas déterminée en fonction des seuls critères donnés par l’article L. 442-6 I 5°qui sont la durée de la relation commerciale et les usages du commerce. La jurisprudence estime en effet que le préavis doit être également fixé en fonction :
- de la nature des relations commerciales (exclusivité ou absence d’exclusivité dans l’accord);
- de la spécificité de l’activité ;
- de la part prépondérante de l’auteur de la rupture dans le chiffre d’affaires de son partenaire ;
- de l’importance économique de l’auteur de cette rupture,
- Le temps nécessaire au cocontractant pour réorienter ses activités, rechercher de nouveaux clients (Cass. Com., 10 février 2015, n°13-26.414) ;
- Ou encore, l’état de dépendance économique (Cass. Com, 6 nov 2012, n°11-24.570, Cass. Com, 7 oct 2014, n°13-19.692).
Le délai de préavis suffisant s’apprécie au moment de la notification de la rupture sans tenir compte des éléments survenus après cette dernière comme le changement d’activité dans des conditions favorables (Cass. Com, 9 juillet 2013 – n°12-20.468).
La Cour de cassation estimant que les juges disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer, au regard de ces critères, la validité du délai de préavis appliqué par les parties (Cass. com. 12 mai 2004, pourvoi n°01-12.865), il nous a paru intéressant de synthétiser les décisions rendues sur cette question par la Cour d’appel de Paris dans le tableau ci-après :

DECISIONS DE JUSTICE PAR LE JUGE | DUREE DES RELATIONS | PREAVIS CONTRACTUEL | PREAVIS RETENU |
---|---|---|---|
CA Paris, 2 juin 2016, n°14-24382 | 6 ans | 16 mois | Suffisant |
CA Paris, 24 juin 2015, n°13-05110 | 5 ans | 2 ans | Suffisant |
CA Paris, 26 mars 2015, n° 13-19922 | 5 ans | 6 mois | 3 mois |
CA Paris, 7 janvier 2015, n°12-17844 | 18 ans | 18 mois | 36 mois |
CA Paris, 25 septembre 2014, n°12-21568 | 5 ans | Non | 10 mois |
CA Paris, 2 juillet 2014, n°13-18048 | 5 ans | 6 mois | Suffisant |
CA Paris, 15 mai 2014, n°12-09133 | 3 ans | 4 mois | 6 mois |
CA Paris, 9 avril 2014, n° 12-01972 | 17 ans | 3 mois | 12 mois |
CA Paris, 23 mars 2011, n°09-17150 | 10 ans | 3,5 mois | 1 an |
CA Paris, 13 octobre 2010, n° 09-03712 | 5 ans | 3 mois | 10 mois |
CA Paris, 15 septembre 2010, n°08-19277 | 10 ans | Non | 8 mois |
CA Paris, 25 mars 2010, n° 09-12157 | 10 ans | 3 mois | 6 mois |
CA Paris, 17 mars 2010, n°09-07750 | 4 ans | 1 mois | 4 mois |
CA Paris, 10 février 2010,n° 07-20870 | 5 ans | 2 mois | Suffisant |
CA Paris, 16 septembre 2009, n°07-13021 | 17 ans | 1 mois | 6 mois |
CA Paris, 3 juillet 2009, n°06-10552 | 10 ans | Non | 9 mois |
CA Paris, 17 décembre 2008, n°06-20452 | < 2 ans | 10 jours | 2 mois |
CA Paris, 17 octobre 2008, n°07-01207 | 7 ans | Non | 1 an |
CA Paris, 19 mars 2008, n°06-03882 | 2 ans | 4 mois | 6 mois |
CA Paris, 6 juillet 2007, n°05-14409 | 6 mois | Non | 6 mois |
La force obligatoire du contrat, pourtant garantie par les dispositions générales de l’article 1134 du Code civil, ne s’en trouve que fragilisée au bénéfice d’une disposition légale spécifique, l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dont l’application extensive est purement prétorienne.