La clause de réserve de propriété

articles

La clause de réserve de propriété

Cap Sou KIM, avocat à la cour



La clause de réserve de propriété (CRP) permet à un vendeur de récupérer son bien tant que son produit n’a pas été intégralement payé. Pour être efficace cette clause doit répondre à certaines conditions, détaillées dans cet article.

Le nombre important d’ouvertures de procédures collectives sur l’année 2012 (1.197 ouvertures de sauvegarde, 14.707 de redressement judiciaire et 32.608 de liquidation judiciaire) incite les fournisseurs à se prémunir autant qu’ils le peuvent de la défaillance de leurs clients. Christine Sarazin, associée d’Avens répond à nos questions sur la clause de réserve de propriété, un outil à ne pas négliger parmi les différents systèmes de prévention à la disposition de l’entreprise.

Qu’est-ce qu’une clause de réserve de propriété ?

La vente est en principe formée solo consensu, c’est-à-dire dès l’accord des parties sur la chose et le prix. La propriété est donc transférée à l’acheteur même s’il n’a pas encore payé le prix. La clause de réserve de propriété(CRP) est définie par l’article 2367 du Code civil comme la clause « permettant de suspendre l’effet translatif d’un contrat jusqu’à complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie ».  Les parties peuvent donc convenir de conditionner le transfert de la propriété du bien vendu au paiement. Dans ce cas, tant que le produit n’a pas été intégralement payé, il demeure la propriété du vendeur, même s’il a en pratique déjà été livré à l’acheteur. Le vendeur se ménage ainsi la possibilité de récupérer son bien entre les mains de l’acheteur si le prix n’est pas payé.

Quelles sont les conditions d’opposabilité de la CRP ?

Pour qu’elle soit efficace et à cette seule condition, la CRP doit être convenue par les parties dans un écrit établi au plus tard lors de la livraison de la marchandise (L.624-16 Code de commerce). Elle figure habituellement dans les conditions générales de vente (CGV) du vendeur. Cette clause n’aura d’effet que si elle a été acceptée, même tacitement (Com. 31 janvier 2012, n°10-28.407), par l’acheteur, l’acceptation pouvant résulter de la signature des CGV, de celle d’un contrat cadre dans lequel la clause est rappelée, voire de la signature apposée sur le bon de livraison ou le bon de commande sur lesquels figurera de façon apparente ladite clause. Les clauses ne figurant que sur un support ne permettant pas de justifier de l’acceptation par l’acheteur (typiquement, au dos des factures) doivent donc être évitées, de même que les clauses rédigées en petits caractères. La clause devra en effet y apparaître de façon très lisible (elle est généralement reproduite en caractères gras).

Par ailleurs, la clause de réserve de propriété a été classée comme sûreté réelle mobilière depuis l’ordonnance du 23 mars 2006 (article 2329 4° du Code civil). C’est une garantie particulièrement efficace contre le risque d’insolvabilité de l’acheteur, car étant fondée sur la propriété, elle permet au vendeur de ne pas entrer en concours avec les autres créanciers de son débiteur en cas de procédure collective.

Ainsi, dans la majorité des cas, la CRP est activée par le biais de la procédure de revendication (du bien ou à défaut de son prix), lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure collective. Dans les 3 mois de la publication du jugement ouvrant la procédure collective à l’égard de l’acheteur (L.624-9 Code de commerce), le vendeur adresse une demande de revendication par lettre recommandée avec accusé de réception à l’administrateur ou au mandataire judiciaire (selon la procédure collective ouverte). A ce stade, il faudra questionner le débiteur (ou le mandataire judiciaire) sur l’existence d’un inventaire des biens effectué au moment de l’ouverture de la procédure collective et ne pas hésiter, selon l’enjeu du litige, à constituer le maximum de preuves pouvant démontrer l’existence d’un stock revendicable.

En matière commerciale, la preuve étant libre, tout élément démontrant l’existence de ce stock sera le bienvenu, constat informatique, constat sur place, attestation, … etc. A défaut d’acquiescement à sa demande dans le délai d’un mois, le vendeur doit saisir le juge-commissaire par voie de requête dans le délai d’un mois à compter de l’expiration du délai de réponse du mandataire judiciaire. A l’issue d’une procédure judiciaire contradictoire, le juge-commissaire statuera sur la demande par une décision susceptible de recours dans des délais très brefs.

En général, quels résultats observez-vous ?

S’il est fait droit à l’action en revendication du vendeur, celui-ci récupère ses biens. Il restitue alors l’acompte éventuellement encaissé. En pratique, le débiteur pourra offrir de payer les biens pour les conserver.

Quid des biens revendus par l’acquéreur ?

Si le bien a été payé par le sous-acquéreur à l’acquéreur avant le jugement d’ouverture, aucune revendication n’est possible. Par contre, le vendeur peut exercer son action en revendication lorsque le bien a été payé par le sous-acquéreur après le jugement. La revendication portera alors non plus sur le bien lui-même, comme dans l’hypothèse d’une revendication entre les mains de l’acquéreur (on parle de revendication en nature, ou revendication de marchandises), mais sur les sommes versées par le sous-acquéreur à l’acquéreur ou toujours dues par le premier au second à défaut de paiement (on parle de revendication du prix). La procédure de revendication du prix est la même que celle de revendication en nature (2372 du Code civil).

La CRP s’applique-t-elle hors procédure collective ?

Lorsque l’acheteur ne fait pas l’objet d’une procédure collective et n’a pas payé le prix, le vendeur peut saisir le tribunal pour revendiquer sa marchandise, à moins qu’elle n’ait été transformée ou incorporée. Si les biens ont été revendus, le vendeur ne peut les revendiquer auprès du sous-acquéreur, sauf mauvaise foi de celui-ci. Cette procédure est peu fréquente puisque dans le cas du débiteur In boni (c’est-à-dire qui ne fait pas l’objet d’une procédure collective), le créancier dispose souvent d’autres armes plus rapides et plus coercitives telles que l’action en référé provision, les saisies conservatoires, etc…

La revendication de marchandise est ainsi une procédure judiciaire complexe strictement encadrée mais susceptible de permettre au créancier de limiter les pertes par la récupération de tout ou partie des marchandises en cas de déconfiture de son acheteur.

Date de mise à jour  : 22/07/2016